Écoutez maintenant: Comment améliorer l’inclusion financière dans les zones rurales à travers l’extension des réseaux d’agents dans les pays de l’UEMOA?

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Author: Maxime Lokossi

Ce webinaire fait le point des derniers développements dans l’écosystème des services financiers mobiles de l’espace UEMOA notamment la forte pression exercée sur les marges des acteurs du secteur. Il repose la question de la place qu’occupent les propriétaires de points de vente de mobile money dans la chaîne de distribution du secteur.

Le panel du webinaire a connu la participation de quatre experts :

 

ÉTAT DES LIEUX DE L’INCLUSION FINANCIÈRE EN MILIEU RURAL : QUELS SONT LES DÉFIS RENCONTRÉS PAR LES CLIENTS ET LES AGENTS MARCHANDS DE L’ESPACE UEMOA ?

D’importants progrès ont été réalisés dans l’espace UEMOA en dix années avec un taux d’inclusion financière qui a triplé, passant de 22,2% en 2010 à 63,8% en 2020 et ceci en grande partie grâce à l’adoption et l’utilisation des services financiers mobiles.

Le mobile money est avant tout un service de proximité qui nécessite des points de vente de proximité. Or bâtir un réseau de distribution propre est très coûteux et non viable pour un émetteur de monnaie Électronique (EME) et par conséquent ces derniers doivent s’appuyer sur les réseaux d’agents marchands à qui ils reversent près de 75% des commissions perçues sur les clients. Ceci montre l’importance des agents marchands dans la chaîne de distribution de l’industrie du Mobile Money. L’ensemble de l’industrie à l’échelle de l’UEMOA a enregistré des performances très encourageantes en 2020 :  3.497,28 millions d’opérations pour une valeur de 41.455,32 milliards de FCFA.

Les principaux défis rencontrés au niveau du secteur sont :

  • Un parcours client USSD complexe surtout pour les populations analphabètes et trop long pour les agents ;
  • Un nombre très limité de points de distribution de mobile money au Niger ;
  • Une gestion de la liquidité des agents assez complexe en zones rurales dans tous les pays de l’UEMOA ;
  • Une rentabilité faible pour les agents marchands des zones rurales due à un faible volume de transactions à traiter ;
  • Une perturbation de la chaine de distribution du Mobile Money due à l’arrivée de la Fintech Wave Mobile Money au Sénégal et en Côte d’Ivoire.

Face à la faible disponibilité d’infrastructures de distribution du cash en milieux ruraux la gestion de liquidité est abordée différemment dans chaque pays.  (i) Au Bénin : elle repose sur les agences propres des opérateurs MTN Mobile Money et MOOV Money et sur leurs master distributeurs ; (ii) Au Sénégal : ORANGE Money et FREE Money s’appuient sur leurs agences propres et surtout sur les guichets des sociétés de transfert d’argent (STA) très présentes dans le pays. Quant au nouvel entrant WAVE Money Sénégal il utilise les services d’une société de convoyage de fonds créée à cet effet ; enfin (iii) Au Niger : Airtel Money est en train d’investir $3 millions en CAPEX pour constituer ses propres points de distribution en même temps qu’il travaille à nouer des partenariats stratégiques avec les sociétés de transfert d’argent qui assurent un excellent maillage du territoire nigérien et les Centres Villages Intelligents. 80% de la population nigérienne vit en milieu rural et le taux d’inclusion financière du pays s’élevait à 15,6% en 2020.

LES STRATÉGIES DES ACTEURS DE MOBILE MONEY : INNOVATION – AGIITÉ – FISCALITÉ

Les stratégies habituelles des opérateurs mobile money avant l’entrée de WAVE Mobile money sur le marché consistaient essentiellement à : (i) développer le réseau d’agents marchands avec un plan de commissionnement alléchant, (ii) développer l’acceptation sur les points de vente commerçants ou via des API pour le commerce en ligne, (iii) fournir des services de première génération essentiellement via le canal de communication USSD et dans une moindre mesure via des applications mobiles et enfin (iv) développer des partenariats stratégiques avec les acteurs de l’écosystème notamment les banques pour offrir les services de mobile banking ou de bank to wallet et les sociétés de transfert d’argent (Niger, Sénégal).

L’amélioration timide de la connectivité Internet et les coûts plus abordables des smartphones ont favorisé l’entrée de WAVE Mobile Money, une Fintech basée au Sénégal et en Côte d’Ivoire qui perturbe tout l’écosystème tout aussi bien par :

  • Son modèle unique : WAVE money est la première Fintech et la première structure non-bancaire et non-opérateur de télécommunications à obtenir un agrément d’émetteur de monnaie électronique (EME) dans l’espace UEMOA ;
  • Un parcours client rendu beaucoup plus simple grâce aux nouvelles technologies du canal de distribution : carte avec QR code ou application mobile (client et agent) intuitive et intégrant un lecteur biométrique ;
  • Des cas d’utilisation innovants : annulation de transaction par le client ou l’agent, auto enregistrement du client, dépôt ou retrait sur un wallet non lié à un quelconque réseau mobile ;
  • Ses procédures d’enrôlement des agents intégrant leur géolocalisation ;
  • Sa gestion de la liquidité : par une société dédiée créée par Wave qui assure le convoyage des fonds ;
  • Sa tarification client très compétitive : dépôts et retraits gratuits, transferts payants (1% du montant)
  • Un plan de commissionnement des agents basé désormais sur le volume et non plus sur chaque transaction.

Si d’un côté le modèle unique de Wave Money bénéficie de coûts d’investissement moindres du fait que cet acteur n’a pas eu besoin d’acquérir une licence de téléphonie de l’autre côté on peut s’interroger sur la soutenabilité de sa politique de tarification et de la gestion de la liquidité de ses agents avec une société propre à elle. Par ailleurs des points de vue de l’innovation et de la règlementation la possibilité donnée aux agents et aux clients d’annuler un paiement doit être réexaminée plus attentivement.

Enfin les activités de mobile money sont désormais dans le viseur des dirigeants politiques qui, compte tenu des volumes réalisés, imposent des taxes spécifiques aux opérateurs qui les répercutent sur les agents. C’est le cas au Niger avec la taxe fictive (19%) ou au Bénin avec la taxe contributive sur les services financiers mobiles (5%) qui s’ajoutent à la taxe sur valeur ajoutée.

RECOMMANDATIONS A L’ENDROIT DES ACTEURS, DES DÉCIDEURS POLITIQUES ET DES RÉGULATEURS FINANCIERS POUR FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT DE L’ÉCOSYSTEME DU MOBILE MONEY DANS LA ZONE UEMOA AVEC OU SANS LES AGENTS MARCHANDS

Recommandations à l’endroit de tous les acteurs :

  • Développer la collaboration avec tous les acteurs pour accélérer la digitalisation des services financiers et réduire le besoin d’utilisation d’argent liquide ;

Recommandations à l’endroit des agents marchands :

  • Négocier éventuellement avec les émetteurs de monnaie électronique (EME) la possibilité de revenir aux anciens plans de commissionnement ce qui suppose le retour de tous les EME aux anciens tarifs clients ; ou
  • Admettre la nécessité de se réinventer et de réaliser d’importants volumes ou de trouver d’autres lignes de commissions pour gagner de l’argent au Sénégal et au Niger ;

 

Recommandations à l’endroit des décideurs politiques :

  • Définir un cadre règlementaire pour la collecte des données biométriques des clients et des agents pour faciliter les procédures d’enrôlement des EME (Autorités en charge de la protection des données à caractère personnel) ;
  • Reconsidérer la taxation des services financiers mobiles pour prendre en considération la dimension inclusion financière que vise le mobile money ;
  • Prendre les mesures nécessaires pour éviter la déstructuration de l’écosystème du mobile money ;

 

Recommandations à l’endroit de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) :

  • Protéger les clients contre les annulations de paiement initiées par les agents marchands ou d’autres clients en conditionnant l’annulation par l’obtention du consentement du client ayant reçu les fonds ;
  • Ne pas autoriser l’annulation des paiements marchands et créer des profils commerçants spécifiques pour reconnaitre les paiements marchands et bloquer les possibilités d’annulation ;
  • Aller au-delà de la simple élaboration des textes règlementaires qui encadrent les acteurs financiers en régulant également le secteur ;
  • Alléger davantage les conditions d’accès aux services financiers mobiles par les populations

 

Ce webinaire a été modéré par Maxime LOKOSSI, Consultant en mésofinance et en finance digitale.